Adoption du Règlement d’exécution relatif aux modalités d’application du Règlement sur les subventions étrangères
Le 10 juillet dernier, la Commission européenne (« Commission ») a publié la version définitive du règlement d’exécution (le « Règlement d’exécution ») relatif aux modalités d’application du Règlement UE 2022/2560 sur les subventions étrangères faussant le marché intérieur (le « RSE »).
Entré en vigueur le 12 janvier dernier (voir notre newsletter à ce sujet), le RSE vise à lutter contre les distorsions de concurrence générées par les subventions accordées par des pays tiers. Il a instauré une panoplie de nouveaux outils de contrôle qui ont été confiés à la compétence exclusive de la Commission, afin de lui permettre d’exercer une surveillance étroite de ces subventions :
- d’une part, des mécanismes de notification préalable dans le cadre de certaines concentrations et certains marchés publics (lesquels seront applicables à compter du 12 octobre prochain) ;
- d’autre part, un outil général d’enquête permettant de contrôler toutes les autres situations de marché (outil d’ores et déjà applicable depuis le 12 juillet dernier).
L’adoption du présent Règlement d’exécution vise à préciser les modalités d’application et de mise en œuvre pratiques de ces nouveaux outils, en particulier les mécanismes de notification préalable.
I. Le contrôle des subventions étrangères dans le cadre d’opérations de concentration
Rappel des seuils de notification
Pour mémoire, le RSE prévoit que toute opération de concentration devra être notifiée à la Commission, dès lors que :
(i) la cible, l’une des parties à la fusion ou l’entreprise commune est établie dans l’Union et génère un chiffre d’affaires total d’au moins 500 millions d’euros dans l’Union ; et
(ii) les entreprises impliquées dans l’opération (i.e., la cible et le ou les acquéreurs ou les parties à la fusion ou l’entreprise commune et ses mères) se sont vues accordées une contribution financière étrangère (« CFE ») combinée d’au moins 50 millions d’euros au cours des trois années précédentes.
Le Règlement d’exécution ne modifie en rien le niveau de ces seuils et ne prévoit aucun aménagement particulier concernant notamment la manière de calculer le montant des CFE. Ce sont donc bien tous les financements émanant de pays tiers, quelle qu’en soit la forme (y compris les opérations d’achat et de vente effectuées à des conditions de marché), qui devront donc être pris en compte pour déterminer si le seuil est atteint.
Lorsque ces seuils seront franchis, la notification devra obligatoirement intervenir préalablement à la réalisation de l’opération et aura un effet suspensif.
Cette obligation de notification s’appliquera à toutes les opérations franchissant les seuils qui seront signées après le 12 octobre prochain, mais également à toutes celles signées après le 12 juillet 2023 et dont la réalisation interviendra après le 12 octobre 2023 (avec, par conséquent, un impact non négligeable sur le calendrier de ces opérations, dès lors qu’aucune notification se sera a priori possible avant le 12 octobre 2023).
Informations à fournir en cas d’obligation de notification
Cette obligation de notification s’appliquera à toutes les opérations franchissant les seuils qui seront signées après le 12 octobre prochain, mais également à toutes celles signées après le 12 juillet 2023 et dont la réalisation interviendra après le 12 octobre 2023 (avec, par conséquent, un impact non négligeable sur le calendrier de ces opérations, dès lors qu’aucune notification se sera a priori possible avant le 12 octobre 2023).
Pour les opérations franchissant les seuils précités, les entreprises notifiantes (à savoir les parties à une fusion ou la ou les entreprises acquérant le contrôle) devront compléter et transmettre à la Commission un formulaire de notification, dont un modèle est annexé au Règlement d’exécution (« Formulaire FS-CO »).
S’agissant du niveau d’informations à fournir, bien que la version adoptée par la Commission présente un certain nombre d’avancées par rapport au projet soumis à consultation publique, celui-ci n’en reste pas moins significatif pour les entreprises. Ainsi, en plus d’informations relativement générales concernant la présentation de l’opération et des parties concernées, la Commission impose aux parties notifiantes:
(i) De fournir des informations détaillées sur chacune des CFE relevant de l’une des catégories de subventions étrangères les plus susceptibles de fausser le marché intérieur (celles listées à l’article 5, paragraphe 1, a) à d) du RSE[1]) qui ont été perçues par les entreprises notifiantes ou l’entreprise cible au cours des trois années précédant la concentration, pour autant que leur montant individuel soit égal ou supérieur à 1 million d’euros.
Pour chacune des CFE répondant à ces critères, les parties notifiantes devront ainsi :
- fournir des informations détaillées concernant le type de CFE (prêt, avance de capital, etc.), l’identité du pays tiers / autorité ayant octroyé la CFE, le montant et les caractéristiques de la CFE (taux d’intérêt, durée du prêt, etc.), la finalité et la justification de l’octroi de la CFE ou encore préciser si la CFE est susceptible de conférer un avantage à l’entreprise bénéficiaire et ainsi de relever de la notion de « subvention étrangère » au sens du RSE (section 5.1 et 5.2 du Formulaire FS-CO) ;
- préciser si et, le cas échant, comment la CFE serait susceptible d’améliorer la position concurrentielle des parties à la concentration sur le marché intérieur (section 6.4 du Formulaire FS-CO). Pour les entreprises, il s’agira donc, en pratique, de démontrer, sur la base de différents indicateurs (i.e., montant, type, utilisation ou finalité de la CFE), l’absence de distorsion de concurrence générée par ce type de subventions ;
- fournir une copie des pièces justificatives ainsi que tous documents relatifs à l’objectif, l’utilisation ou la justification de ces CFE et qui auraient été établis par ou pour les membres d’un organe de direction des parties notifiantes.
(ii) De fournir un « aperçu » (« overview ») des CFE ne relevant pas des catégories visées à l’article 5 paragraphe 1, a) à d) du RSE qui ont été perçues par les entreprises notifiantes (à l’exclusion de l’entreprise cible) au cours des trois années précédant la concentration.
En pratique, pour ce type de CFE, les entreprises devront renseigner un tableau (dont un modèle est annexé au Formulaire FS-CO), au sein duquel les CFE devront être regroupées par pays et par type, étant précisé que :
- ne devront être inclus que les pays dans lesquels le montant cumulé de CFE, au cours des trois dernières années, s’avère égal ou supérieur à 45 millions d’euros. Aux fins du calcul de ce montant, le Règlement d’exécution précise qu’il conviendra de :
- tenir compte du montant des CFE entrant éventuellement dans les catégories de subventions qui sont les plus susceptibles de fausser le marché intérieur ;
- ne pas tenir compte des CFE suivantes : (i) les exonérations fiscales d’application générale ou qui ont vocation à éviter toute double imposition ; (ii) les opérations d’achat ou de vente de produits ou services (à l’exception des services financiers) effectuées à des conditions de marché ou fournies à l’issue d’une procédure de mise en concurrence transparente et non-discriminatoire et (iii) les contributions financières étrangères d’un montant individuel inférieur à 1 million d’euros.
- Ne devront être inclues que les CFE dont le montant individuel est égal ou supérieur à 1 million d’euros.
Pour les CFE répondant à ces critères, les parties notifiantes devront « simplement » fournir une description générale de l’objet des CFE et de la ou des entités octroyant l’aide.
Le Règlement d’exécution prévoit, par ailleurs, des règles de comptabilisation simplifiées concernant les opérations effectuées par des fonds d’investissement. Ces derniers n’auront pas à prendre en compte les CFE octroyées à d’autres fonds d’investissement (ou octroyées à des sociétés de portefeuille contrôlées par ces autres fonds) qui, bien que gérés par la même société d’investissements, disposent d’investisseurs majoritairement différents en termes de droits sur le bénéfice, pour autant que :
- le fonds qui contrôle l’acquéreur soit soumis à la directive européenne 2011/61/UE sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs (ou une législation équivalente d’un pays tiers) ; et
- les transactions économiques et commerciales (telle que la vente d’actifs, y compris la propriété de sociétés, les prêts, les lignes de crédit ou les garanties) entre le fonds qui contrôle l’acquéreur et les autres fonds d’investissement gérés par la même société d’investissement soient inexistantes ou limitées.
Les Parties notifiantes devront, par ailleurs, fournir une copie des documents permettant d’évaluer ou d’analyser la concentration du point de vue de son motif ou encore tous les rapports de due diligence établis dans le cadre de l’opération par des conseils externes. Elles pourront également mettre en avant les effets bénéfiques des CFE pour le marché intérieur (en particulier s’agissant de celles susceptibles de relever des catégories visées à l’article 5, paragraphe 1 du RSE).
II. Le contrôle des subventions étrangères dans le cadre de marché publics ou de concessions
Rappel des seuils de notification
Le RSE prévoit également une obligation de notification dans le cadre de procédures de passation de marchés publics, lorsque :
(i) la valeur estimée dudit marché public ou de la concession est égale ou supérieure à 250 millions d’euros[2] ; et
(ii) l’entreprise candidate (ou le groupe auquel elle appartient, y compris, le cas échéant, ses principaux sous-traitants et fournisseurs participant au même appel d’offres[3]) a bénéficié de CFE totales, au cours des dernières années, égales ou supérieures à 4 millions d’euros par pays. Comme pour les opérations de concentrations, toutes les CFE perçues par les entreprises candidates devront être prises en compte pour déterminer si ce seuil est atteint.
Le RSE prévoit également que si, dans le cadre de procédures de passation de marchés publics ou de concessions atteignant le seuil de 250 millions d’euros (premier seuil rappelé supra), aucune des parties notifiantes n’a perçu de CFE d’un montant supérieur ou égal à 4 millions d’euros par pays au cours des trois dernières années (second seuil rappelé supra), lesdites entreprises devront présenter une déclaration au lieu d’une notification (cf. infra).
En cas d’obligation de notification ou de déclaration, les entreprises concernées seront tenues de joindre, dès le dépôt de leur offre, la notification ou la déclaration au titre du RSE, sous peine de voir leur candidature rejetée. Le Règlement d’exécution indique, à cet égard, que tous les opérateurs économiques, groupements d’opérateurs économiques, sous-traitants principaux et fournisseurs principaux couverts par l’obligation de notification devront notifier et être considérés comme « parties notifiantes » au sens dudit Règlement. Ce dernier précise toutefois qu’il appartiendra au « contractant principal » (au sens des directives 2014/24/UE et 2014/25/UE) de veiller à la soumission de la notification (ou de la déclaration) au nom de toutes les parties notifiantes.
Une fois la notification ou déclaration jointe à l’offre, le pouvoir adjudicateur devra ensuite les transférer sans délai à la Commission en vue de son examen. En cas de notification (que ce soit au cours de l’examen préliminaire ou de l’enquête approfondie), la procédure d’attribution du marché ne sera alors pas suspendue, mais celui-ci ne pourra pas être attribué jusqu’à la publication de la décision de la Commission.
Informations à fournir en cas d’obligation de notification
La notification ou la déclaration des CFE dans le cadre de marché publics ou de concessions devra être présentée à l’entité adjudicatrice dans un formulaire, dont le modèle est également annexé au Règlement d’exécution (« Formulaire FS-PP »).
Comme pour les concentrations, le niveau d’informations à fournir variera selon le type de CFE perçues. Ainsi, outre la fourniture d’informations générales relatives à la procédure de passation du marché public concernée et aux entreprises candidates, le formulaire FS-PP impose aux parties notifiantes :
(i) De fournir des informations détaillées sur chacune des CFE relevant de l’une des catégories de subventions étrangères les plus susceptibles de fausser le marché intérieur (celles listées à l’article 5, paragraphe 1, a) à c) et e) du RSE[4]) qui ont été perçues par les entreprises, pour autant que leur montant individuel soit égal ou supérieur à 1 million d’euros. Le type d’informations à fournir dans ce cas de figure sont similaires à celles exigées pour les concentrations.
Les parties notifiantes devront également fournir des pièces justificatives officielles relatives à ces catégories de CFE, ou encore les copies des documents établis par ou pour tout membre du conseil d’administration, de l’organe de direction ou du conseil de surveillance ou reçus par ceux-ci examinant l’objectif, l’utilisation et la justification économique de ces CFE.
S’agissant plus spécifiquement des CFE relevant de la catégorie de subventions mentionnée à l’article 5 paragraphe 1, e) du RSE (i.e., CFE permettant à une entreprise de soumettre une offre indûment avantageuse grâce à laquelle elle pourrait se voir attribuer le marché ou la concession concernée), les entreprises candidates devront en particulier démontrer en quoi l’offre n’est pas indûment avantageuse, directement ou indirectement, en raison de la ou des CFE reçues. Dans ce cas, les entreprises seront également tenues de fournir des documents justificatifs pour la période couvrant les trois années précédant la notification (par exemple, les plans d’entreprise et les études de marché ayant sous-tendu la décision de participer à la procédure).
(ii) De fournir un « aperçu » (« overview ») des CFE ne relevant pas des catégories visées à l’article 5 du RSE et dont le montant individuel est égal ou supérieur à 1 million d’euros.
Pour ce type de CFE, les entreprises devront, comme en matière de concentrations, renseigner un tableau (dont un modèle est également annexé au Formulaire FS-PP), au sein duquel les CFE devront être regroupées par pays et par type (subventions, prêts, etc.), étant toutefois précisé que ne devront être inclus que les pays dans lesquels le montant cumulé de CFE, au cours des trois dernières années, s’avère égal ou supérieur à 4 millions d’euros (seuil beaucoup plus bas qu’en matière de concentrations). Les règles de calcul applicables pour déterminer si ce dernier seuil est atteint sont identiques à celles prévues pour les concentrations.
Pour les CFE entrant dans cette catégorie, les parties notifiantes n’auront, là encore, qu’à fournir une description générale de l’objet des contributions financières inclues dans chaque type et de la ou des entités octroyant l’aide.
Informations à fournir en cas d’obligation de déclaration
Dans le cas d’une obligation de déclaration, les informations requises dans le formulaire FS-PP sont considérablement réduites. Ainsi :
- Les CFE dont le montant total par pays tiers est inférieur 200.000 euros sur une période de trois années consécutives précédant la déclaration (seuil de mininis) ne devront pas être mentionnées;
- Les CFE non soumises à l’obligation de notification dont la valeur, au cours des trois années précédant la déclaration, est comprise entre 200.000 et 1 million d’euros devront être énumérées sous forme agrégée dans un tableau, dont un modèle est annexé au Formulaire FS-PP. Les parties notifiantes devront ainsi fournir une brève description des types de CFE reçues par pays tiers, sans indiquer leur valeur ;
- Les CFE non soumises à l’obligation de notification dont la valeur, au cours des trois années précédant la déclaration, est comprise entre 1 million et 4 millions d’euros devront toutes être énumérées de façon individuelle (et non de façon agrégée).
En définitive, malgré les améliorations et efforts de simplification apportés par la Commission au régime de notification des subventions étrangères, ce nouveau corpus règlementaire européen impose une charge administrative toujours très importante pour les entreprises.
Celles-ci seront en effet astreintes à une obligation de collecte, de classification et de suivi permanente de l’ensemble des CFE perçues annuellement, afin de pouvoir déterminer si le montant de ces CFE dépasse, d’une part, les seuils de notification prévus et, d’autre part, le cas échéant, les multiples seuils instaurés par le Règlement d’exécution en vue de pouvoir déterminer le niveau d’informations à fournir à la Commission. Ce travail de collecte et de monitoring sera à l’évidence complexe et couteux pour les entreprises.
En outre, dans la mesure où l’obligation de notification pour les concentrations s’applique à toutes les opérations (franchissant les seuils) signées depuis le 12 juillet dernier, mais dont la réalisation interviendra après le 12 octobre prochain, il en résulte que, pour ces opérations-là, les entreprises doivent intégrer cette nouvelle règlementation dès à présent : d’une part, dans le cadre de leur due diligence habituelle, afin de déterminer si les seuils de notification sont atteints et, d’autre part, le cas échéant si une notification s’avère nécessaire, dans le cadre de l’élaboration du calendrier de l’opération et de la documentation contractuelle.
Enfin, il sera rappelé qu’au-delà de créer des nouvelles obligations, le RSE offre également de nouveaux outils aux entreprises qui estimeront subir une concurrence déloyale de la part de leurs concurrents bénéficiaires de subventions étrangères, en leur permettant de porter à la connaissance de la Commission toutes distorsions de concurrence présumées causées par l’octroi de ce type de subventions (l’outil général d’enquête confié à la Commission étant d’ores et déjà applicable depuis le 12 juillet dernier).
L’équipe reste bien entendu à votre disposition pour toute question quant aux implications pratiques de cette nouvelle règlementation pour votre activité.
[1] A savoir : a) une subvention étrangère octroyée à une entreprise en difficulté, à savoir une entreprise qui cesserait probablement ses activités à court ou à moyen terme en l’absence de subvention, sauf s’il existe un plan de restructuration à même de rétablir la viabilité à long terme de cette entreprise et assorti d’une contribution propre importante de cette dernière; b) une subvention étrangère sous la forme d’une garantie illimitée des dettes ou des passifs de l’entreprise, c’est-à-dire sans limite quant au montant ou à la durée de cette garantie; c) une mesure de financement à l’exportation qui n’est pas conforme à l’arrangement de l’OCDE sur les crédits à l’exportation bénéficiant d’un soutien public et d) les subventions étrangères facilitant directement une concentration.
[2] Sauf si le marché est divisé en lots, auquel cas la valeur du lot ou la valeur cumulée de tous les lots pour lesquels l’entreprise candidate soumet une offre doit, en outre, être égale ou supérieure à 125 millions d’euros.
[3] Lorsque la part économique de la contribution des sous-traitants et/ou fournisseurs est supérieure à 20% de la valeur de l’offre soumise.
[4] A savoir : a) une subvention étrangère octroyée à une entreprise en difficulté, à savoir une entreprise qui cesserait probablement ses activités à court ou à moyen terme en l’absence de subvention, sauf s’il existe un plan de restructuration à même de rétablir la viabilité à long terme de cette entreprise et assorti d’une contribution propre importante de cette dernière; b) une subvention étrangère sous la forme d’une garantie illimitée des dettes ou des passifs de l’entreprise, c’est-à-dire sans limite quant au montant ou à la durée de cette garantie; c) une mesure de financement à l’exportation qui n’est pas conforme à l’arrangement de l’OCDE sur les crédits à l’exportation bénéficiant d’un soutien public et e) les subventions étrangères permettant à une entreprise de soumettre une offre indûment avantageuse grâce à laquelle elle pourrait se voir attribuer le marché ou la concession concerné.